vendredi 11 novembre 2016

Vézelay et le chapiteau de Judas



Ayant fait un pèlerinage motorisé sur les bords de la Loire, à l'arrêt de Vézelay, j'ai recherché le fameux Christ miséricordieux du pape François portant Judas sur ses épaules. Même à la fin de l'année de la Miséricorde, il ne faut pas désespérer de cette miséricorde, "elle s'étend d'âges en âges sur ceux qui le craignent." Des indulgences nous en avons encore à foison et gratuitement. Luther aurait peut-être aimé vivre en notre temps et serait resté dans l'Eglise catholique c'est sûr.

Revenons à notre sujet. Nous nous souvenons de l'interprétation que le pape rapporte et a répétée par 3 fois


"Il est le Miséricordieux qui pardonne tout. Je suis très touché par un chapiteau médiéval qui se trouve dans la Basilique Sainte Marie Madeleine à Vézelay, en France, où commence le Chemin de Saint Jacques. Sur ce chapiteau, d’un côté il y a Judas  pendu, les yeux ouverts, la langue dehors, et de l’autre il y a le Bon Pasteur qui l’emmène avec lui. Et si nous regardons bien, attentivement, le visage du Bon Pasteur, les lèvres d’un côté sont tristes, mais de l’autre côté elles arborent un sourire. La miséricorde est un mystère, c’est un mystère.



Après 3 tours de basilique et l’examen attentif d'un ouvrage, je l'ai enfin trouvé. Le chapiteau 79 se situe tout en haut du premier pilier , au « 2ème niveau », juste en entrant après la porte latérale droite (depuis le narthex) , celle du petit tympan sud, représentant l’Epiphanie, l’Annonciation, la Visitation et la Nativité. Une excellente vue est indispensable ou des jumelles pour parvenir à ses fins. En plus des  arguments critiques formulés jusqu'à présent à l'encontre de cette interprétation (apparence du personnage portant Judas, jugement sur le suicide au Moyen-âge etc...), il y en a encore un, à mon sens. Le personnage à la bouche torse portant le corps de Juda, ne se dirige pas vers le choeur d'où vient la miséricorde, mais il l'emporte hors de l'église, il se dirige vers la sortie de manière on ne peut plus claire et ostensible. Il marche vers l'Ouest, le couchant, vers les ténèbres.
De la représentation tragique de la pendaison de ce pauvre Judas, que dire ? Il accomplit son geste malheureux tourné vers l'Est, à l'endroit le plus éloigné de l'autel, lieu où s'accomplit le sacrifice de Jésus. Il ne comprend pas ce qui se passe et désespère de la manière la plus absolue. Il ne croit pas en la miséricorde. Saint Benoît dans sa règle dit qu'il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu. Le jugement n'appartient qu'à Dieu et il ne faut jamais cesser d'implorer cette miséricorde pour nous et pour les autres.
Élément contemporain tragique, en cette année de la Miséricorde, la porte du Jubilé se trouve à l'opposé de cette représentation.

Suite à la lecture du commentaire de Viviane Huys Clavel, Image et discours au XIIe siècle, L’Harmattan 2009, sur ce chapiteau, l'impression est très mitigée. Ni bourse, ni démon, certes... Assimilation de Judas au peuple juif durant le Moyen-Age et l’antiquité chrétienne, c’est indiscutable. A la fin des temps le peuple se convertira selon Rm 13.
On trouve en formule téléchargeable le passage de l’ouvrage de Viviane Huys Clavel qui nous intéresse à cette adresse :


L'auteur postule que Pierre le Vénérable serait à l'origine de l'établissement du programme des sculptures. Sa réflexion et ses spéculations paraissent s'appuyer sur une assimilation au Moyen-Age des Juifs à Judas : A Vézelay Judas est présenté sans bourse ni démons tourmenteurs... Est-ce suffisant ? Malgré la virulence de Pierre, il pourrait sembler que dans sa pensée, au final les Juifs seraient appelés à se convertir. Quoi d’étonnant pour celui qui lit Romains 11.

Pour Judas, nul ne sait, le Christ lui-même a dit parlant de celui qui livrerait le Fils de l’Homme : « Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » ( Mt 26,24).
Une bouche torse et grimaçante n'est tout de même pas un signe des plus encourageants.
Avec l'argent de la trahison, les responsables achetèrent le champ du potier cf Mt 27, 8-10.
La version des Actes (Act 1, 18-20) diffère  (cf Sg 4,19). Ils sont pourtant attribués à saint Luc l’Evangéliste de la Miséricorde. Il dit que Judas achète le champ, se pend et que ses entrailles se répandent sur le sol… Le drame ! Or les entrailles symbolisent la miséricorde. Quel acte de désespoir ! Le pauvre n’est même plus miséricordieux envers lui-même. Qu’est-ce que Luc a voulu dire ?
Le sculpteur du chapiteau et son commanditaire paraissent avoir suivi plutôt Matthieu. Peut-il y avoir une allusion aux oeuvres de miséricorde dans l'acte d'enterrer les défunts et de respecter ainsi leur dignité ? Au Moyen-Age après les exécutions, on laissait fréquemment pourrir les condamnés, ou une tête pour impressionner la populace.


La thèse que fait sienne le pape François est celle d'Eugen Drewermann dans son commentaire de l'Evangile de Marc « La parole et l’angoisse » (p 369ss ) publiée chez DDB en 1995, soit 4 ans avant la publication de Mme Viviane Huys Clavel. Les éditions allemandes sont bien entendu plus anciennes.

Titre La parole et l'angoisse: commentaire de l'Évangile de Marc
Auteur Eugen Drewermann
Rédacteur Jean-Pierre Bagot
Traduit par Jean-Pierre Bagot
Éditeur Desclée de Brouwer, 1995

ISBN 2220036103, 9782220036106

Das Markusevangelium
Eugen Drewermann Vol. I et II

Eugen Drewermann est connu pour ses réflexions sur le suicide et le suicide assisté.
Drewermann E. Le mensonge et le suicide. Psychanalyse et morale. Cerf, 1992.

Autre sujet d'approfondissement : Le suicide dans les écrits de Pierre le Vénérable (Pierre de Montboissier)...

Jean-Claude Schmitt Le suicide au Moyen-Âge

On lit que pourrait être établi un rapprochement avec le miracle du Pélerin pendu, dépendu de saint Jacques de Compostelle : http://www.saint-jacques.info/castillon.htm / Wikipedia.


A suivre si le temps est suffisant.

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