Vorbourg, le samedi 17 septembre 2016
Homélie
2 Co, 5,20 - 6, 2 ; Lc 7, 36-50
En s'adressant aux Corinthiens, Saint Paul rappelle sa
responsabilité et sa mission de ministre ordonné, de successeur des apôtres.
Mais elles sont celles de tout disciple du Christ : « Nous sommes les
ambassadeurs du Christ ... coopérateurs de Dieu. » Et l'invitation principale
est la réconciliation : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. » Celui qui a
réalisé cette réconciliation, non seulement avec Dieu, mais aussi entre les
hommes, c'est le Christ. Saint Paul le dit dans les versets qui précèdent ceux
que nous avons entendus : « Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés
avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation.
Car c'est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il
n'a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la
réconciliation. » (v.18 et 19)
Nous avons tous besoin d'être réconciliés par Dieu, car nous
sommes tous pécheurs. Par le pardon de nos péchés, nous expérimentons sa
miséricorde, nous revenons vers Dieu, alors que le péché nous en a éloignés, et
nous nous rapprochons des autres, alors que le péché a détérioré nos relations
avec eux. Par ce pardon, nous devenons justes, libres. Nous nous laissons
réconcilier, en particulier dans le sacrement de la réconciliation. Y
participer est un moment favorable, un temps où nous recevons le salut qui
vient de Dieu. Le sacrement de la réconciliation ne doit pas nous faire peur.
Il existe pour nous faire du bien et nous libérer du poids de nos péchés. En y
participant, nous bénéficions de la miséricorde de Dieu.
La femme pécheresse dont parle l'évangile a bénéficié de la
miséricorde de Dieu qui s'est exprimé dans le comportement de Jésus. Le récit
évangélique contient des questions et des difficultés. Tout d'abord, le
comportement de cette femme est surprenant. N'est-il pas à la limite de la
convenance ? Si quelque chose de semblable avait lieu quand le pape se rend dans un pays ou quand un évêque ou un
prêtre fait une visite pastorale, quels propos ne tiendrait-on pas, quelles
photos ne feraient pas la une des journaux écrits ou télévisés ? Et pourtant,
cet épisode est bouleversant et beau, plein de profondeur. La simplicité et le
courage de cette femme font notre admiration. De plus, les paroles de Jésus
sont difficiles à interpréter : « Ses péchés, ses nombreux péchés, sont
pardonnés, puisqu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on pardonne
peu montre peu d'amour. » Et puis, il y a la fin de la rencontre : « Ta foi t'a
sauvée. Va en paix ! » Au bout du compte, s'agit-il de foi ou d'amour dans ce
récit?
Simon, le pharisien, qui a invité Jésus ne comprend pas
grand-chose à ce qui se passe. Il avait sans doute convié Jésus chez lui avec
des amis, afin de lui faire honneur alors que certains pharisiens critiquaient
Jésus. Il voulait écouter le Maître, ses paroles de vérité et de sagesse. Un
acte de courage, alors que Jésus, dans les versets qui précèdent l'évangile,
était jugé comme un glouton et un ivrogne, contrairement à Jean-Baptiste, et
qu'il était l'ami des publicains et des pécheurs. Jésus est en bonne compagnie
en étant chez Simon.
Et voilà que la présence de cette femme qui n'a pas été
invitée, et surtout son comportement, mettent mal à l'aise chacun, sauf Jésus.
Simon n'ose pas demander à la femme de partir. Mais il n'est pas content de ce
qui arrive, peut-être se sent-il un peu responsable ! Il a cherché à honorer
Jésus, à lui faire gagner l'estime des gens honorables, et voilà que tout lui
échappe. Sûr de lui et ne voulant pas perdre la face, il pense en lui-même : «
Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et
ce qu'elle est : une pécheresse. » Mais Jésus n'intervient pas.
Pourtant, il va renverser la situation et les pensées de
Simon sur sa manière de considérer cette femme. Simon croit être dans la vérité
: cette femme est un rebus de l'humanité, elle est indigne, elle est un
obstacle à son projet d'invitation du Maître. Sa vie n'est pas un bon témoignage.
Il pense que Jésus est naïf, aveugle. Pourquoi Jésus ne réagit-il pas ? Dans le
fond, Simon qui est juste espère qu'elle va partir. En réalité, Simon ne voit
en cette femme qu'un aspect : son péché, sa culpabilité. « Il ne lui vient pas
à l'idée qu'une pécheresse puisse avoir une histoire personnelle : qu'elle est
femme, peut-être mère, qu'elle a des problèmes, des inquiétudes, qu'elle n'a
peut-être jamais trouvé personne pour l'aider, qu'elle pourrait avoir envie de
se relever. Il ne pense même pas que cette femme a dû faire effort pour entrer
dans sa maison et accomplir ce geste public. Non ! Pour Simon, elle appartient
à la catégorie des gens perdus à jamais. » (Card. Martini, p. 59)
Simon, c'est chacun de nous, lorsque nous ne voyons pas les
personnes dans leur vie profonde, lorsque nous regardons les autres uniquement
selon les apparences ou selon leurs défauts et leurs péchés, lorsque nous
n'accordons pas de considération à des gestes qui expriment la conversion ou la
bonté. Nous sommes Simon chaque fois que nous critiquons les autres, l'Eglise,
Dieu lui-même, avec intransigeance et avec hauteur : « Si elle avait le sens de
ses responsabilités, l'Eglise devrait faire ceci ou cela. » L'orgueil peut
aveugler et ne fait voir qu'un aspect des choses. Or, le regard de Dieu est
autre : il ne nous identifie pas au mal que nous avons commis. Le regard de
Dieu est un regard miséricordieux. Il ne nous enferme pas dans nos péchés.
Et la femme pécheresse, qui est-elle ? Une femme attentive,
comme Marie aux noces de Cana. Elle a repéré ce qui n'a pas été fait quand
Jésus est entré chez Simon : verser de l'eau sur les pieds, embrasser, faire
une onction. Elle le fait avec cette intelligence du cœur et ce bon sens qui
caractérisent ceux et celles qui ne pensent pas qu'à eux et qui se mettent au
service des autres dans des gestes humbles, simples, mais qui sont ajustés,
appropriés. Elle le fait avec ses moyens, avec tout son cœur. Certes, on peut
considérer qu'elle est excessive, mais elle va au-delà du qu'en- dira-t-on. Ce
qu'elle a perçu en Jésus, soit directement, soit parce qu'elle en a entendu
parler, c'est quelque chose de la miséricorde, de la hésèd de Dieu.
Consciente de ses péchés, de ses errements, elle veut honorer cette tendresse
miséricordieuse capable de la relever. Elle découvre cette miséricorde incarnée
en un homme. Alors elle retrouve la liberté d'agir, la joie de donner, loin des
commérages. Elle fait l'expérience de l'amour vrai.
Jésus regarde et laisse faire, parce qu'il ne juge pas selon
les apparences mais voit dans le cœur de cette femme. Il voit son évolution, sa
conversion et avec beaucoup de délicatesse il conduit Simon à voir autrement.
En fait, c'est Simon qui n'est pas dans la vérité. Jésus dit la vérité : « Ses
péchés, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu'elle a montré beaucoup
d'amour. » Il n'y a aucune condescendance dans ces paroles, Jésus n'excuse rien
du péché commis, mais il exprime ce pour quoi il est venu dans le monde et qui
fait partie de sa mission : exprimer la miséricorde infinie de Dieu, rétablir
l'homme dans sa dignité de fils du Père.
Ce que Jésus perçoit en cette femme un peu bizarre, c'est sa
foi, qui consiste à prendre la décision de se jeter aux pieds de Jésus, comme
Marie, la sœur de Marthe et de Lazare, qui se jette aux pieds de Jésus en
disant : « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » La femme a une
foi qui ne la ridiculise pas aux yeux de ceux qui la regardent faire, mais qui
la rétablit dans sa dignité de femme, une foi qui la sauve et que Jésus met en
valeur : « Ta foi t'a sauvée. » Jésus voit ce qu'il y a dans le cœur de
l'homme.
Par les gestes qu'elle accomplit, la femme de l'évangile
exprime et son amour et sa foi, signes de gratuité. Elle n'a pas acheté le
pardon de ses péchés en agissant ainsi. Elle agit de la sorte, parce qu'elle se
sait aimée, objet de la miséricorde et de la bonté de Jésus. Alors, elle montre
son amour. Laissons-nous réconcilier par Dieu. En reconnaissant nos péchés et
nos faiblesses montrons-lui beaucoup d'amour. Nous croyons en sa miséricorde.
Accueillons-la. Et permettons à d'autres de croire en cette miséricorde de
Dieu. Ne soyons pas des obstacles à la miséricorde de Dieu. Soyons des artisans
de miséricorde, pour notre joie et le bonheur de tous. Amen.
Mgr Philippe GUENELEY
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