Du moyen-âge à l’époque moderne
Le bestiaire du Pape
Giovanni Cerro
page 12
jeudi 2 février 2017, numéro 5
Au cours des dernières décennies, la recherche
historiographique a accompli des progrès importants dans l’analyse de la riche
symbologie des animaux en relation avec la papauté. Une contribution
déterminante dans cette direction a été offerte par les chercheurs italiens,
parmi lesquels une place importante est occupée par Agostino Paravicini
Bagliani, auteur du récent ouvrage II bestiario del papa (Turin,
Einaudi, 2016, 378 pp., 32,00 euros), dans lequel, à travers la relecture d’un
vaste éventail de sources textuelles et iconographiques, il explore le rapport
symbolique et métaphorique qui unit la papauté et les animaux, du moyen-âge à
l’époque moderne.
Le lecteur est accompagné dans un parcours divisé en trois
parties. Dans la première, il est question de deux figures dont la connotation
symbolique semble être très ancienne, comme la colombe et le dragon, alors que
dans la deuxième sont considérés les animaux traditionnellement liés à l’autoreprésentation
du rôle des Souverains Pontifes, en premier le cheval et l’éléphant. La
troisième, enfin, est liée au renversement parodique et polémique subi par
certains de ces symboles, aussi bien dans les soi-disant prophéties papales que
dans les satires nées dans le milieu protestant.
L’histoire du perroquet, dont les origines remontent au XIe
siècle, est curieuse et peut-être peu connue. Dans une des Vitae de Léon
IX, attribuée à Wibert de Toul, on raconte qu’un certain «rex Dalamarcie» — que
l’on peut peut-être identifier avec Etienne Ier, roi de Croatie et de Dalmatie
— envoya un perroquet en don au Pape, qui était non seulement en mesure de
répéter la phrase «Je vais chez le Pape», mais aussi de l’appeler par son nom.
Et cela sans que personne ne le lui ait enseigné. Quand le
Pape rentrait dans son appartement privé, la compagnie du perroquet l’encourageait
et le réconfortait, en lui apportant un délassement par rapport à ses graves
préoccupations quotidiennes.
S’il est difficile de retrouver un antécédent historique
dans lequel on attribue au perroquet la fonction de consoler l’homme, dans la
littérature latine existent en revanche des exemples où on lui reconnaît la
capacité d’annoncer des personnages de haut rang: Martial célèbre l’habilité de
ce volatile à saluer l’empereur et Macrobe raconte qu’Auguste, après la
bataille d’Actium, acheta un corbeau et un perroquet qui l’avaient acclamé
vainqueur et imperator.
Selon une chronique du Xe siècle, même l’empereur de Byzance
avait l’habitude de se faire accompagner par un perroquet à des banquets et des
cérémonies officielles. Au haut moyen-âge, l’éloquence de cet animal devient l’objet
d’éloges, également dans le milieu chrétien : Théodulph d’Orléans, abbé de
Fleury, le considère en mesure de rivaliser avec les muses d’Homère et le moine
anonyme auteur de l’Ecbasis captivi, une parodie épique sur le monde
animal, compare la voix du perroquet à la mélodie de la harpe du roi David.
Dans la Rome papale, le perroquet fait son apparition vers
1280 dans les fresques de l’aile du palais apostolique, que Niccolô III fit
construire et décorer et qui prendra ensuite le nom de «Sala vecchia degli
Svizzeri». Avec Boniface VIII, l’utilisation du perroquet comme motif décoratif
s’intensifie, au point que dans certains tissus précieux en soie de Lucques,
son blason est représenté entre des perroquets verts et que cet animal se
retrouve dans beaucoup des parements qu’il donna à la cathédrale d’Anagni, sa
ville natale. Au début du XVe siècle, est mentionnée pour la première fois une
salle du perroquet dans le palais apostolique, dans laquelle le Pape réunissait
les cardinaux en consistoires, se préparait avant de participer à des
cérémonies solennelles, recevait les princes et les souverains et donnait des
bénédictions.
La fonction du perroquet renvoie donc à des gestes rituels
de souveraineté, qui ont pour but de séparer la sphère privée de celle
publique. Ce sera avec Léon X que ce symbolisme atteindra son apogée: il suffit
de penser à la représentation sur la porte de la Salle du perroquet, œuvre de
Raphaël et de son école, dans laquelle Jean-Baptiste a le regard tourné vers un
petit perroquet sud-américain. Il s’agit bien évidemment d’une référence au
Pape comme représentant du Christ sur la terre.
On doit à Léon x non seulement l’institution d’une véritable
ménagerie dans la cour du Belvédère, mais également l’introduction à la cour
papale d’un éléphant blanc, don du roi du Portugal Manuel Ier. Débarqué à Rome
après un voyage aventureux en bateau, accompagné par un dompteur indien et un
gardien sarrasin, le pachyderme resta pendant longtemps gravé dans la mémoire
des romains en raison de sa beauté et de sa majesté.
Le Pape était particulièrement attentif à la sécurité
d’Hanno — tel est le nom qui fut donné à l’éléphant — et pour éviter qu’il ne
se blesse les pattes, il refusa de l’envoyer à la cour des Médicis et auprès du
roi de France en visite à Bologne. Si le perroquet et l’éléphant peuvent
apparaître comme des animaux exotiques, un tableau plus intime et familier nous
parvient de Musetta, la petite chienne de Pie II.
Selon le témoignage d’Enea Silvio Piccolomini lui-même dans
ses Commentarii, la petite chienne aimait faire des bêtises. Un jour,
alors que le Pape se trouvait dans un jardin où il recevait des délégations
diplomatiques, elle tomba dans une citerne et fut sauvée avec difficulté; le
lendemain elle fut mordue par un gros cercopithèque qui faillit la tuer.
Musetta mourut une dizaine de jours plus tard en tombant de la fenêtre de la
résidence papale et Pie il s’inspira de son histoire pour rappeler, avec un
exemplum efficace, la vertu de la prudence.
De l’examen minutieux et original d’Agostino Paravicini Bagliani
apparaît aussi bien la persistance de plusieurs animaux symboliques, qui au
cours du temps ont assumé des fonctions différentes, que le caractère
transitoire d’autres, qui avec la transformation des pratiques
institutionnelles et politiques et des sensibilités religieuses, sont allés
vers un déclin parfois soudain, parfois graduel, jusqu’à disparaître
complètement.
La longue tradition du rapport entre les Papes et les
animaux semble aujourd’hui avoir laissé de côté les élaborations symboliques
complexes du passé, pour revêtir en revanche un connotation plus concrète,
caractérisée par l’engagement et le respect pour la création, comme le démontre
la récente encyclique Laudato si’ du Pape François.
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