Vorbourg, le mercredi 14 septembre 2016
Homélie
Ph 2, 6-11;Jn 3,14-17
Il y a une certaine audace à parler de croix glorieuse, à
associer ces deux mots, tant ils semblent s'opposer l'un à l'autre. Pour les
Juifs la croix était un scandale, pour les païens du temps de Jésus, c'était
une folie. Pour les musulmans, le scandale demeure : le Coran, malgré tout le
bien qu'il dit de Jésus, ne peut admettre sa crucifixion, parce qu'elle est
contraire à la transcendance de Dieu. Mais dire que Jésus n'est pas mort sur la
croix, ce n'est pas respecter l'histoire et aller à l'encontre de ce qu'a fait
Jésus. « Il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la
croix. » Cette mort scandaleuse fait partie de la vie du Christ. Par sa mort
sur la croix, Jésus a donné à la croix une gloire incomparable.
L'instrument de condamnation et de torture, la croix est
devenue pour les chrétiens le symbole par excellence de l'amour de Dieu qui
s'est fait homme, signe du don total de lui-même, signe du salut procuré aux
hommes de tous les temps. Symbole de l'abaissement de Dieu, de la kénose, la
croix est aussi une victoire, elle est la source d'où jaillissent les eaux de
la vie nouvelle du salut, du pardon, de la destruction du péché, de la
sainteté. Elle est signe de la miséricorde de Dieu.
Il existe à Rome, dans la basilique Saint Clément, une
mosaïque qui représente la croix du Christ, sur laquelle se trouvent douze
colombes qui symbolisent les Apôtres et au pied de laquelle pousse l'arbre de
vie d'où ruissellent les eaux de la grâce où s'abreuvent deux cerfs (à
rapprocher du verset du psaume 41: « Comme un cerf altéré cherche l'eau vive,
ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu. »). De cet arbre se déroulent des
rameaux, symbolisant l'union à Dieu ; dans ces enroulements se trouvent les
travaux de la terre et de la vie pastorale, des docteurs de l'Eglise, des
personnages laïcs, des oiseaux. Au sommet, une représentation du paradis par
une ombelle multicolore, d'où sort la main du Père qui tend la couronne au
Fils. Il s'agit là d'un véritable poème de la Rédemption universelle. La croix,
source de vie, la croix, source de naissances. La croix apparaît ici rayonnante
de vie. C'est bien cette croix-là que l'Eglise célèbre aujourd'hui.
La fête de la croix glorieuse nous remplit de reconnaissance
pour Jésus qui, en acceptant d'être cloué sur la croix et de mourir, a exprimé
que l'amour est plus fort que la mort et que les souffrances engendrées par le
péché des hommes. « Ô croix, tu nous sauveras ! » aimons-nous chanter avec foi.
L'amour infini de Dieu s'est exprimé dans l'envoi de son Fils unique : « Dieu a
tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. »
La croix portée par Jésus et sur laquelle il fut cloué n'est
pas un châtiment, que le Fils unique et Bien Aimé de Dieu aurait eu à subir de
la part du Père qui l'aurait abandonné à la cruauté des hommes. Nous savons et
nous croyons que le Fils et le Père sont un. Sur la croix, le Père souffre avec
le Fils. Certes, c'est le Fils qui est devenu semblable aux hommes. Mais Dieu
prend aussi la condition du serviteur et donne sa vie. La croix est signe d'une
victoire, celle de l'amour qui a vaincu la haine, celle de la vie qui a
triomphé de la mort, celle de la miséricorde sur une justice qui aurait pu
exiger la mort des pécheurs. En assumant la mort, Jésus qui était innocent,
prend sur lui les péchés des hommes, Paul dit même que Jésus a été identifié au
péché (littéralement 'Dieu l'a fait péché') pour nous, et nous a rendu justes
et libres. La justice de Dieu révélée en Jésus n'est pas une justice qui
condamne et punit, elle nous justifie, par grâce. « Ainsi, la miséricorde de
Dieu révélée de manière définitive à la croix nous laisse vivre et renaître à
la vie, alors que nous avons mérité le jugement et la mort; elle nous redonne
l'espérance contre toute espérance. Elle accorde la vie et la liberté à
l'homme. » (Walter Kasper, La Miséricorde, p.83) Dans cet abaissement, Dieu se
retire en quelque sorte pour laisser toute la place à sa miséricorde et donner
la vie. La mort a été enterrée avec la croix.
« La mort de Jésus sur la croix signifie la mort de la mort
et la victoire de la vie. » La croix est chemin vers la résurrection. Nous
sommes sauvés par la miséricorde de Dieu. Saint Paul, dans son hymne au Christ
de la Lettre aux Philippiens donne la théologie de la croix la plus complète.
Dans cet acte de miséricorde qu'est la mort de Jésus sur la croix s'exprime
l'amour de Dieu qui s'abaisse pour relever l'homme : c'est ce que fait le Père
pour son Fils qui est exalté, glorifié. Ainsi c'est la même tendresse du père
de la parabole de l'enfant prodigue qui s'exprime sur la croix. Aussi, nous ne
pouvons qu'exprimer notre reconnaissance à Dieu.
La fête de la croix glorieuse nous rappelle aussi le chemin
du disciple du Christ : suivre le Christ en portant nous-mêmes la croix. Si,
par le baptême nous sommes ressuscités avec le Christ, nous sommes aussi
plongés dans sa mort. Et la mort nous colle à la peau, si nous restons fidèles
au choix que nous avons fait du Christ et de la vie évangélique. Le Christ a
pris le chemin de l'humilité, de l'abaissement. C'est à genoux qu'il se met
pour laver les pieds de ses apôtres, c'est à genoux qu'il prie au mont des
Oliviers dans l'agonie qui précède son arrestation et sa mort. En se faisant
serviteur à la suite de Jésus, tout baptisé a vocation à porter la croix. Cette
croix-là est liée à la fidélité de notre foi au Christ. Elle peut prendre la
forme de la souffrance lorsque notre témoignage se heurte à la moquerie, à
certaines attaques, à l'insulte. Elle prend la forme du martyre violent dans
les persécutions. Il y a aussi ces croix qui parsèment notre vie quotidienne et
qui sont liées aux personnes et aux événements. Nous sommes invités à les
porter avec patience et espérance, en tournant notre regard vers le Christ
élevé sur la croix comme le serpent au désert et dont le cœur transpercé laisse
jaillir l'eau et le sang.
Les croix de nos églises, celles qui sont suspendues dans
nos maisons, celles qui se trouvent dans les cimetières ou à la croisée de nos
chemins ruraux ou dressées sur une colline, la croix suspendue à notre cou ou
celle que les mourants tiennent entre leurs mains nous rappellent l'amour de
Dieu et la fécondité de la mort du Christ pour l'Eglise et pour le monde. Elles
nous disent que personne n'est abandonné de Dieu. Certains voudraient que les
croix soient retirées des lieux publics. Cette attitude est signe de la
déchristianisation et de la méconnaissance de l'amour de Dieu. Ne manquerait-il
pas quelque chose à notre monde si ce signe de l'amour et de la miséricorde
n'était plus visible ? Ce signe rappelle sans cesse que le fondement d'une
nouvelle civilisation et de la profonde transformation de nos sociétés et de
nos relations internationales se situe dans l'amour et la miséricorde de Dieu.
« Croire en cet amour signifie croire en la miséricorde », a écrit Saint
Jean-Paul II dans son Encyclique, Deus in misericordia, (n.7) « La croix
est comme un toucher de l'amour éternel sur les blessures les plus douloureuses
de l'existence terrestre de l'homme. » (n.8) C'est la mission de l'Eglise de
bâtir la civilisation de l'amour.
Enfin, par la prière nous pouvons exprimer à Dieu toutes les
souffrances qui blessent les hommes, les défigurent, les dégradent, car la
croix du Christ les prend sous son ombre pour soulager et sauver. Dans son
Encyclique sur la miséricorde, Saint Jean-Paul II souligne : « L'Eglise ne peut
oublier la prière qui est un cri d'appel à la miséricorde de Dieu face aux
multiples formes de mal qui pèsent sur l'humanité et la menacent [...] Par un
tel cri, faisons appel au Dieu qui ne peut mépriser rien de ce qu'il a créé, au
Dieu qui est fidèle à lui-même, à sa paternité, à son amour. » (n. 15)
Mgr Philippe GUENELEY
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