L’OSSERVATORE ROMANO , numéro 7, jeudi 12 février 2015 pp
12-13
Gerhard Müller
L’ Eglise a à cœur l’Evangile, la vérité, le salut.
L’histoire nous a enseigné qu’à chaque fois que l’Eglise s’est libérée de la
mentalité mondaine et des modèles terrestres d’exercice du pouvoir, s’est
ouverte la voie de son renouveau spirituel en Jésus Christ, sa tête et source
de vie. Le point de référence de l’enseignement, de la vie et de la
constitution de l’Eglise n’est pas le dominium
des rois, mais le ministerium des
apôtres: «Ce n’est pas que nous entendions régenter votre foi. Non, nous
contribuons à votre joie; car, pour la foi, vous tenez bon» (II Corinthiens 1,
24).
Cela ressort dans toutes les tentatives de réforme, in capite et in membris, comme par
exemple dans le renouveau grégorien du XIe siècle, dans la réforme du concile
de Trente du XVIe siècle, ou dans le nouveau printemps de l’Eglise avec le
Concile Vatican II, dans lequel ont conflué les mouvements de renouveau
biblique, patristique, liturgique et ecclésiologique des XIXe et XXe siècle.
Le pouvoir temporel du Pape et des princes-évêques s’est
parfois superposé à la mission spirituelle de l’Eglise. Dans le lien entre
pouvoir politique et service spirituel est souvent apparue l’influence
corruptrice de critères caractérisés par le pouvoir et le prestige. Encore plus
dévastateurs furent les systèmes à l’époque moderne des Eglises d’Etat,
présentes par exemple dans le gallicanisme, dans le fébronianisme et dans le
joséphisme, ainsi que la soumission de l’Église à la raison d’Etat à travers le
patronage royal dans les empires espagnol et portugais. Mais l’Eglise reçut sa
véritable signification non pas d’un consensus social, de la fonction du
christianisme comme religion civile ou de contacts avec les représentants du
pouvoir politique, mais de la Parole même de salut adressée aux hommes, en
particulier aux pauvres dans les périphéries de la vie.
Le Seigneur a institué l’Eglise comme sacrement universel de
salut pour le monde, afin que «tous les hommes soient sauvés et parviennent à
la connaissance de la vérité» (1 Tm 2, 4). L’Eglise ne pourra se comprendre
elle-même et ne pourra se justifier devant le monde selon des normes de
pouvoir, de recherche et de prestige: la réflexion sur la nature et sur la
mission de l’Eglise de Dieu est, donc, la base et le présupposé de toute
véritable réforme.
Face à la fragilité des hommes, existe toujours la tentation
de spiritualiser l’Eglise, c’est-à-dire de la reléguer à un domaine de simples
idéaux et rêves, au-delà de l’abîme de la tentation, du péché, de la mort et du
diable, comme si, pour arriver à la gloire de la résurrection, nous ne devions
pas traverser la vallée de la souffrance et de la douleur.
Selon une certaine analogie qu'il est possible d’établir
avec l’incarnation du Verbe de Dieu, l’Eglise formé une unité intérieure de
communauté spirituelle et une assemblée visible, servant ainsi à l’Esprit de
Dieu comme signe et instrument de salut, dans le but de poursuivre l’œuvre du
Christ parmi les hommes. L’Eglise est donc sainte et sanctifiante parce qu’elle
est sanctifiée par Dieu; en ce qui concerne les hommes dans leur pèlerinage de
foi, elle «est toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son
effort de pénitence et de renouvellement» (Lumen
gentium, n. 8).
Dans ce sens, Benoît XVI a parlé de la nécessité d’une Ent-Weltlichung de l’Eglise,
c’est-à-dire de sa libération de formes de mondanité. Le Pape François a
poursuivi de façon résolue cette pensée en parlant de l’Eglise pauvre et pour
les pauvres: l’Eglise ne doit jamais céder à la tentation d’une
auto-sécularisation, en s’adaptant à la société séculaire et à une vie sans
Dieu.
Dans le discours à la Curie pour les vœux de Noël de 2014,
le Saint-Père a souligné la prédominance absolue de la finalité spirituelle de
l’Eglise sur tout moyen terrestre, qui ne doit jamais devenir une fin en soi.
Ce discours représente une exhortation spirituelle et un examen de conscience
pour toute l’Eglise. Ce n’est pas la grandeur des biens de l’Eglise ou le
nombre d’employés dans nos structures administratives qui constitue la boussole
qui oriente le renouveau de l’Eglise: c’est en revanche, l’esprit d’amour dans
la force duquel l’Eglise sert les hommes à travers la prédication, les
sacrements et la charité. La réforme de la Curie romaine, déjà débattue lors
des congrégations précédant le conclave de 2013, doit être exemplaire pour le
renouveau spirituel de toute l’Eglise.
La Curie n’est pas une simple structure administrative, mais
essentiellement une institution spirituelle enracinée dans la mission
spécifique de l’Eglise de Rome, sanctifiée par le martyre des apôtres Pierre et
Paul: «Dans l’exercice de son pouvoir suprême, plénier et immédiat sur l’Eglise
universelle, le Pontife romain se sert des dicastères de la Curie romaine;
c’est donc en son nom et par son autorité que ceux-ci remplissent leur tâche
pour le bien des Eglises et le service des pasteurs sacrés» (Christus Dominus, n. 9). En partant de
cette description théologique, le Concile Vatican Il lui-même a encouragé une
réorganisation de la Curie conforme à notre époque.
La structure d’organisation et le fonctionnement de la Curie
dépendent de la mission spécifique de l’Evêque de Rome. Successeur de Pierre,
il est le «principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie
entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles» (Lumen gentium, n. 23), institué par le
Christ pour son Eglise. Etant donné que ce n’est qu’à la lumière de la foi
révélée que nous sommes en mesure de distinguer l’Eglise d’une quelconque
communauté religieuse de nature purement humaine, ainsi, ce n’est que dans la
foi que nous réussissons à comprendre que le Pape et les évêques jouissent d’un
pouvoir sacramentel et médiateur du salut qui nous lie à Dieu. Telle est
précisément la qualité qui distingue les pasteurs de l’Eglise d’autres formes
d’autorité que chaque communauté religieuse se donne pour des raisons
sociologiques et d’organisation.
Dans l’Eglise locale, l’évêque, constitué par l’Esprit
Saint, n’est pas un délégué ou un représentant du Pape, mais il est le vicaire
et le légat du Christ, principe et fondement d’unité dans l’Eglise qui lui est
confiée. La doctrine du primat du Pape et de la collégialité des évêques doit
être entendue comme expression de la sollicitude commune pour toute l’Eglise,
entendue dans sa qualité de communio
ecclesiarum. C’est pourquoi, la relation entre Eglise universelle et Eglise
particulière ne peut être comparée à celle qui existe entre des organisations
profanes. L’Eglise universelle ne naît pas comme somme des Eglises
particulières, et les Eglises particulières ne sont pas non plus de simples
succursales de l’Eglise universelle: il existe au contraire une intériorité
mutuelle entre l’Eglise universelle et les Eglises particulières. L’Eglise est
le corps du Christ, elle est guidée et représentée par le collège des évêques cum et sub Petro.
Le Pape, en rendant visible l’unité et l’indivisibilité de
l’épiscopat et de l’Eglise tout entière, préside dans le même temps à l’Eglise
locale de Rome. En raison de l’œuvre de Pierre comme Evêque de Rome, et surtout
grâce à son martyre, le primat est lié pour toujours à l’Eglise de Rome. De
même que «l’évêque est dans l’Eglise et l’Eglise dans l’évêque» (Cyprien, Epistulae, 66, 8), ainsi, l’Evêque de
Rome lui non plus n’est jamais pasteur de l’Eglise universelle sans son lien
avec l’Eglise de Rome. De même que la tête ne peut être séparée du corps,
ainsi, le lien de l’Evêque de Rome avec l’Eglise de Rome est indissoluble.
C’est pourquoi, la Tradition parle du primat «de l’Eglise de Rome». Le Pape
n’exerce le primat qu’avec l’Eglise romaine.
Chef visible de l’Eglise de Rome, le Pape est, dans le même
temps, le chef visible de toute l’Eglise. En raison de l’autorité spéciale (propter potentiorem principalitatem,
Irénée, Advenus haereses, III, 3, 3,
2) due à la fondation par Pierre et Paul, chaque Eglise doit s’accorder avec
celle de Rome dans la foi apostolique. Ainsi, les caractères essentiels de
l’Eglise: une, sainte, catholique et apostolique, se trouvent a fortiori
réalisés dans l’Eglise romaine. Depuis les temps antiques, celle-ci s’appelle
«sainte Eglise romaine» — pas tant en raison de la sainteté subjective de sa
tête et de ses membres, mais de la sainteté de sa mission spécifique, qui
consiste à préserver fidèlement la tradition apostolique, le depositum fidei. Le primat de l’Eglise
de Rome n’a rien à voir avec une domination quelconque sur les autres Eglises;
sa nature intérieure est, en revanche, celle de «présider dans la charité»
(Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, prologue), un service à l’unité de la
foi et à la communion de toutes les Eglises pour le bien de l’humanité tout
entière.
Le ministère pastoral universel est exercé personnellement
et directement, car en sa personne le Pape est le Successeur de Pierre, sur qui
le Seigneur a voulu édifier son Eglise. Mais le Pape accomplit son ministère
grâce à l’assistance que l’Eglise romaine lui prête. Au cours de l’histoire, à
partir des évêques des diocèses suburbicaires et des prêtres et des diacres les
plus importants de l’Eglise de Rome, s’est développé le collège cardinalice. De
même que le presbyterium, représenté par le conseil presbytéral, aide l’évêque
diocésain, le collège cardinalice est de la même façon le consilium presbytéral du pape dans son service pastoral universel.
Selon une disposition du Pape Jean XXIII. Les cardinaux y compris les
responsables de la Curie, doivent recevoir la consécration épiscopale; ainsi,
ils font partie du collège des évêques, — un fait d’une grande importance, par
exemple, pour les visites ad limina.
Malgré tous les changements historiques, l’idée est demeurée
solide que l’Eglise romaine collabore à la tâche pastorale et doctrinale
universelle du Pape à travers le collège cardinalice. Des groupes importants de
cardinaux et d’évêques nommés par le Pape forment les organismes de la Curie
romaine, auxquels sont assignés des domaines spécifiques de compétence. Il ne
s’agit pas d’une instance intermédiaire entre le Pape et les évêques, dans la
mesure où la relation entre Pape et évêques, fondée sur la collégialité
épiscopale, est immédiate. En effet, les cardinaux et les évêques de la Curie
romaine soutiennent le Pape dans son service à l’unité catholique, et mettent à
sa disposition tous les moyens adéquats nécessaires pour l’exercice de sa
fonction pastorale et doctrinale. Le Souverain Pontife, d’autre part, n’est
limité en aucune manière par l’action de la Curie, au contraire, il est soutenu
par celle-ci dans l’exercice du primat qui lui est confié comme successeur de
Pierre en faveur de l’Eglise universelle.
Le mode de travail dans la Curie romaine est collégial — en
analogie avec la collégialité du presbyterium sous la direction de l’évêque
diocésain. Chaque responsable des organismes de la Curie n’est que celui qui
préside et qui représente son dicastère, alors que tous les pères des réunions
ordinaires du dicastère lui-même assument une responsabilité égale pour le bien
de l’Eglise universelle. Il est fondamental, pour la réforme de la Curie, que
celle-ci soit entendue comme une famille spirituelle: ce caractère et son
orientation pastorale nécessaire sont garantis par la coopération mutuelle et
par la charité, par la prière et par l’eucharistie, par des retraites et des
engagements de pastorale et de prédication.
Dans ce contexte, il est important que la Curie romaine soit
distinguée des institutions civiles de l’Etat de la Cité du Vatican, dont les
structures sont plutôt sujettes aux lois de l’administration publique et
garantissent l’indépendance politique de l’Eglise. Le synode des évêques
n’appartient pas lui non plus au sens
strict à la Curie romaine, il est l’expression de la collégialité des évêques
en communion avec le Pape et sous sa direction. La Curie romaine aide en
revanche le Pape dans l’exercice de son primat pour toutes les Eglises. La
Curie et le synode se distinguent donc déjà formellement, dans la mesure où la
Curie romaine soutient le Pape dans son service pour l’unité, alors que le
synode des évêques est l’expression de la catholicité de l’Eglise. En effet,
tous les évêques participent au soin de toutes les Eglises. Concrètement ces
deux missions sont liées l’une à l’autre.
Le synode des évêques, les conférences épiscopales et les
divers regroupements d’Eglises particulières appartiennent à une catégorie
théologique différente de la Curie romaine. Seul celui qui pense selon des
logiques de pouvoir, d’influence et de prestige interprète la relation
organique de primat cl épiscopat comme une lutte de compétences. L’Esprit
Saint, en revanche, envers qui nous ne devons jamais fermer nos esprits, crée l’harmonie
entre les pôles de l’unité et de la multiplicité, entre l’Eglise universelle et
les Eglises particulières ainsi qu’au sein de chaque Eglise particulière. Toutefois,
l’esprit du monde sème les conflits et la méfiance. Favoriser une juste
décentralisation ne signifie pas que l’on attribue plus de pouvoir aux
conférences épiscopales, mais seulement que celles-ci exercent la
responsabilité authentique qui leur revient sur la base de l’autorité
épiscopale du magistère et du gouvernement de leurs membres, naturellement
toujours en union avec le primat du Pape et de l’Eglise romaine.
Une véritable réforme de la Curie romaine et de l’Eglise a
pour objectif de rendre la mission du Pape et de l’Eglise plus lumineuse dans
le monde d’aujourd’hui et de demain. L’Eglise se voit défiée par le sécularisme
mondial, qui, avec un radicalisme jusqu’à présent inconnu, tend à définir
l’homme sans Dieu, en fermant la porte à la transcendance et en détruisant les
fondements communs de l’être humain. Dans la «dictature du relativisme» et dans
la «mondialisation de l’indifférence», pour reprendre les expressions de Benoît
XVI et de François, les frontières entre vérité et mensonge, entre bien et mal,
se confondent. Le défi pour la hiérarchie et pour tous les membres de l’Eglise consiste
à résister à ces infections mondaines et de continuer à soigner les maladies
spirituelles de notre temps. Le Pape François poursuit line purification
spirituelle du temple, à la fois douloureuse et libératrice, dans le but de
faire resplendir dans la l’Eglise la gloire de Dieu, lumière de tous les
hommes. En rappelant alors, comme les disciples du Seigneur, la parole de
l’Ecriture «Le zèle pour ta maison me dévorera» (Jn 2, 17), nous comprendrons
l’objectif de la réforme de la Curie et de l’Eglise.
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