Le passage qu'a retenu les médias est celui-ci:
Je suis préoccupé par beaucoup d’entre eux, qui, séduits par la puissance du monde, exaltent les chimères et se revêtent de leurs macabres symboles pour commercialiser la mort en échange de trésor qu’en fin de compte les mites et la rouille dévorent, et qui incite les voleurs à percer les murs (cf. Mt 6, 20). Je vous demande de ne pas sous-évaluer le défi moral et anticivique que représente le narcotrafic pour la jeunesse et pour toute la société mexicaine, y compris l’Eglise.
La proportion du phénomène, la complexité de ses causes,
l’immensité de son extension comme une métastase qui dévore, la gravité de la
violence qui désagrège, tout comme ses connexions néfastes, ne nous permettent
pas à nous, Pasteurs de l’Eglise, de nous réfugier derrière des condamnations
génériques, une espèce de nominalisme. Mais tout cela exige un courage
prophétique ainsi qu’un projet pastoral sérieux et de qualité, pour contribuer,
progressivement, à resserrer ce délicat réseau humain, sans lequel tous, nous
serions dès le départ vaincus par cette insidieuse menace. En commençant
d’abord par les familles ; en nous approchant et en embrassant la périphérie
humaine et existentielle des territoires dévastés de nos villes ; en impliquant
les communautés paroissiales, les écoles, les institutions communautaires, les
communautés politiques, les structures de sécurité ; c’est seulement ainsi
qu’on pourra se libérer totalement des eaux dans lesquelles malheureusement se
noient tant de vies, que ce soit la vie de celui qui meurt comme victime, que
ce soit celle de celui qui devant Dieu aura toujours du sang sur les mains,
même s’il a les poches pleines d’argent sale et la conscience anesthésiée.
Nous remarquons qu'il utilise un terme philosophique qui tranche avec ses habitudes. Qu'est-ce que le nominalisme? Les définitions ne sont pas trop ardues à découvrir, plus à saisir (Wikipedia ; CNRTL) . Qu'est-ce que le pape a bien voulu dire par cette comparaison curieuse? S'agit-il de l'influence du nominalisme en morale?
En fait on peut penser à une référence à Evangelii Gaudium, l'exhortation apostolique du pape sur la Nouvelle Evangélisation. Le passage concerné mérite un retour sur le sujet et une citation :
La réalité est plus importante que l’idée
231. Il existe aussi une tension bipolaire entre l’idée et la réalité. La réalité est, tout simplement ; l’idée s’élabore. Entre les deux il faut instaurer un dialogue permanent, en évitant que l’idée finisse par être séparée de la réalité. Il est dangereux de vivre dans le règne de la seule parole, de l’image, du sophisme. A partir de là se déduit qu’il faut postuler un troisième principe : la réalité est supérieure à l’idée. Cela suppose d’éviter diverses manières d’occulter la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les nominalismes déclaratifs, les projets plus formels que réels, les fondamentalismes antihistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse.
232. L’idée – les élaborations conceptuelles – est fonction de la perception, de la compréhension et de la conduite de la réalité. L’idée déconnectée de la réalité est à l’origine des idéalismes et des nominalismes inefficaces, qui, au mieux, classifient et définissent, mais n’impliquent pas. Ce qui implique, c’est la réalité éclairée par le raisonnement. Il faut passer du nominalisme formel à l’objectivité harmonieuse. Autrement, on manipule la vérité, de la même manière que l’on remplace la gymnastique par la cosmétique.[185] Il y a des hommes politiques – y compris des dirigeants religieux – qui se demandent pourquoi le peuple ne les comprend pas ni ne les suit, alors que leurs propositions sont si logiques et si claires. C’est probablement parce qu’ils se sont installés dans le règne de la pure idée et ont réduit la politique ou la foi à la rhétorique. D’autres ont oublié la simplicité et ont importé du dehors une rationalité étrangère aux personnes.
233. La réalité est supérieure à l’idée. Ce critère est lié à l’incarnation de la Parole et à sa mise en pratique : « À ceci reconnaissez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu » (1Jn 4, 2). Le critère de réalité d’une parole déjà incarnée et qui cherche toujours à s’incarner, est essentiel à l’évangélisation. Il nous porte, d’un côté, à valoriser l’histoire de l’Église comme histoire du salut, à nous souvenir de nos saints qui ont inculturé l’Évangile dans la vie de nos peuples, à recueillir la riche tradition bimillénaire de l’Église, sans prétendre élaborer une pensée déconnectée de ce trésor, comme si nous voulions inventer l’Évangile. D’un autre côté, ce critère nous pousse à mettre en pratique la Parole, à réaliser des œuvres de justice et de charité dans lesquelles cette Parole soit féconde. Ne pas mettre en pratique, ne pas intégrer la Parole à la réalité, c’est édifier sur le sable, demeurer dans la pure idée et tomber dans l’intimisme et le gnosticisme qui ne donnent pas de fruit, qui stérilisent son dynamisme.
On ne peut non plus oublier qu'il est tout aussi peu judicieux de se positionner dans un anti-intellectualisme de principe, qui conduit à l'étouffement et la perte de tout sens critique, donc de liberté, ainsi qu'à l'imposition d'un système qui s'imposerait comme seule lecture du réel.
Voir aussi son discours au Conseil de l'Europe.
Paul VI dans un discours à la commission théologique internationale rappelait trois dangers : "l’accueil de la foi se dégrade dans les formes imparfaites et caduques du nominalisme, du pragmatisme ou du sentimentalisme." Dans un discours pour la paix, il mentionnait ceci : "Face à ce réalisme brutal et toujours renaissant (la guerre), Nous proposons non pas un nominalisme toujours contredit par des expériences nouvelles et irrésistibles, mais un idéalisme invincible, celui de la Paix, destiné à s'affirmer progressivement."
Sujet d'approfondissements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire