Prévôt du Chapitre de Genève, il élabora un discours programme célèbre où il expliqua qu'il fallait prendre comme armes la charité pour ébranler les murs de la ville de Genève, ce fut tout son programme d'action pastorale et de vie spirituelle. Excellent juriste, il était conduit par une conception unitaire de l'Etat dépendant de l'Eglise, et catholique, comme il se devait.
Cependant, si contexte et vision politique sont bien différents aujourd'hui, tout comme la forme du langage, nul ne le conteste, le grand moyen mis en avant pour la nouvelle évangélisation, celui de la CHARITÉ, est le même. C'est celui que préconise le pape François. Relevons au passage que saint François de Sales passa quelques années dans un collège jésuite, à sa demande, mais qu'il traça sa propre voie.
L'un des éléments les plus importants de cet assaut de charité est la sainteté du clergé.
HARANGUE POUR LA PRÉVÔTÉ
Fin décembre 1593
Rédaction définitive
« O Dieu qui venez de m'élever à cette charge, que votre
puissance me garde toujours, afin que j'évite tout péché dans l'exercice de mes
fonctions, et que l'accomplissement de vos lois si justes soit le motif et la
règle de mes pensées, de mes paroles et de mes œuvres. »
Vénérables Pères, je débute par cette prière que j'ai déjà
répétée plusieurs fois, et que je me propose de répéter désormais plus souvent
encore. Cette prière et votre si agréable et si douce présence (la vôtre
surtout, Révérendissime Evêque, qui nous cause d'autant plus de bonheur qu'elle
était moins attendue), Pères vénérables, mes auditeurs à la fois très aimants
et très aimés, mes chers parents et amis, etc., cette prière, dis-je, et votre
présence ont apaisé le trouble de mon âme. S'il eût persévéré aujourd'hui
encore, le cœur et l'esprit m'eussent fait défaut ; je n'aurais pu ni accepter
votre Prévôté, ni vous adresser un seul mot; mon courage, maintenant fortifié
et relevé, aurait défailli. Et comme ces préoccupations provenaient de causes
toutes légitimes, pour ne pas être téméraire, je vais, avec votre assentiment,
vous les expliquer, afin qu'au début de mon ministère aucun mauvais soupçon ne
s'élève dans vos âmes à mon sujet.
Les préfets des provinces avaient coutume, en entrant en
charge, de former de grands, de magnifiques projets, pour signaler les débuts
de leur administration par quelque action d'éclat. Voici l'entreprise que je
propose à vos délibérations ; elle est aussi grande que difficile, elle n'est
pourtant pas plus impossible qu'elle n'est indigne de nous : il s'agirait de
recouvrer Genève, ce siège antique de votre assemblée. Pour mener ce projet à
bonne fin, je vous exposerai mon plan et la ligne de conduite à tenir. Le
développement de ces deux points devrait, si j'étais quelque peu orateur,
merveilleusement enflammer mon éloquence et exciter en vous la plus grande
attention. Ce projet de recouvrer Genève, dont l'accomplissement est si
vivement désiré depuis longtemps, doit, quel qu'en soit l'auteur, être adopté
par nous avec enthousiasme, et il le sera, je l'espère. Il pourrait toutefois
être ébranlé et compromis suite de soupçons défavorables que je vous
inspirerais. Aussi, vous prié-je d'abord d'apprendre en patience avec quelle
anxiété, quel profond sentiment de mon indignité, je suis arrivé à occuper le
premier siège de votre Chapitre.
Pendant les fêtes de Noël qui viennent de passer, la
solennité même de ces jours me faisait rentrer en moi-même, et je pensais à ce
qui me reste de cette vie mortelle. Entre plusieurs difficultés qu'offrait ma
traversée sur cette mer, la première, non moins grave et plus proche que toutes
les autres, fut ma nomination par le bon plaisir du Souverain Pontife, à la
Prévôté du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Saint-Pierre de Genève.
Cette faveur me parut bien prématurée, pleine de périls.
Ignorant, inexpérimenté, simple soldat, me voir à l'entrée même du noviciat
ecclésiastique, honoré d'une telle dignité, être préposé avant d'avoir été
posé, parfait avant d'être fait! Et je me rappelai cette parole de David :
C'est en vain que vous vous levez avant le Jour ; levez-vous après vous être
reposés. Bien que le sens littéral concerne un autre objet, ne pourrait- on pas
facilement, grâce à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui
cherchent à présider avant d'avoir siégé, et qui, semblables à des fruits printaniers
et hâtifs, ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre.
Et alors je voyais se dresser devant moi comme une
apparition, votre vénérable Chapitre. A sa tête, siégeait l'Apôtre qui tient
les clefs du Ciel, et il m'adressait ce grave reproche : Quel est donc, pauvre
François, l'esprit qui t'anime ? Eh quoi, le dernier de tous par la science,
les vertus et le talent, tu prétends être préposé aux premiers ! Ne sais-tu pas
que les honneurs sont extrêmement onéreux? Ne crains-tu pas cette sommation
dont l'époque est incertaine, il est vrai, mais assurément prochaine : Rends
compte de ton administration ? Ces paroles m'émurent à tel point dans l'intime
de mon être, que, serait-il même utile de me remémorer cette émotion, je
n'aurais pas de termes assez forts pour l'exprimer. Je répétais alors en
moi-même : O Dieu, j'ai entendu vos paroles et j’ai craint.
Cependant, ce jour a lui; ma terreur s'est presque évanouie,
et ma confiance en Dieu s'est grandement accrue. Oui, la présence de votre tout
aimable et bienveillante assemblée, Pères vénérables, me ranime et me
réconforte à tel point qu'il serait difficile de dire ce qui m'a le plus
vivement impressionné, de la terreur que j'éprouvais ou du bonheur que je
ressens.
Ce Prévôt aurait à craindre, qui eût été préposé à des
hommes difficiles à contenir dans le devoir; mais moi, mes Pères, quelle
appréhension puis-je avoir en cette occasion, en face de vous dont la charité
et la prudence remportent sur celles qu'on pourrait désirer du Prévôt le plus
accompli. Pourquoi rappeler mon inexpérience et ma faiblesse, puisque dans mes
fonctions, je n'aurai jamais à user de mesures de discipline ou de correction?
A moins qu'on ne veuille « instruire Minerve, » « prêcher saint Bernard, « ou,
selon notre proverbe, poser pour la latinité parmi les Cordeliers.
Je suppose volontiers, je reconnais même, qu'habitués
jusqu'à ce jour à des Prévôts si distingués, vous éprouviez nécessairement en
face d'un tel changement, et, à mon avis, pour dire vrai, d'un tel déclin de la
première dignité de votre Chapitre, une répugnance qui vous rappelle ces vers :
«Quel étranger ici s'installe sur nos sièges ? »
De Pierre, quel osé franchit l'auguste seuil ?
De Pierre, quel osé franchit l'auguste seuil ?
En réalité, mes Pères, cette conjoncture est-elle heureuse
ou non, ce n'est pas à moi de le dire. La chose parle d'elle-même, et vos cœurs
vous répondent assez.
Mais tranquillisez-vous. Rappelez-vous, je vous prie, et
considérez que Dieu choisit ordinairement ce qu'il y a de plus infime et de
plus infirme en ce monde pour confondre ce qui est fort, et que, généralement,
c'est de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle qu'il tire sa
plus parfaite louange. C'est ainsi que nous lui rapportons plus facilement «
ces biens qui procèdent tous de lui. » O Dieu immortel, que vos voies sont
éloignées de nos voies ! O suprême Protecteur des petits, vous pouvez, des
pierres, susciter des enfants d'Abraham.
C'est lui, mes Pères, qui réjouira ma jeunesse quand je
monterai à son autel. Qu'il assaisonne du sucre et du miel de sa charité nos
fruits printaniers, précoces et encore verts, et nous n'aurons pas à craindre
qu'ils se gâtent.
Je répéterai donc sincèrement, quoique dans une condition
différente et bien inférieure, ce que disait autrefois le plus sage des hommes
: Je suis l'être le plus insensé et je ne possède pas la sagesse des homm.es ;
je n'ai pas appris la sagesse, j'e ne connais pas la science des saints. Mais
aussitôt après, je relèverai mon âme avec David : Parce que je n'ai pas connu
les lettres, j'entrerai dans les puissances du Seigneur. C'est-à-dire : par mes
talents et mes connaissances, je suis bien faible, mais je fonderai toutes mes
espérances en Celui qui est puissant pour rendre éloquentes les langues des
enfants, et qui ne « refuse jamais son secours à celui qui fait ce qui est en
son pouvoir, » comme nous l'enseignent avec tant de charme et de vérité tous
les bons théologiens.
On me dira peut-être : rien ne vous autorise à présumer si
grandement de la bonté de Dieu, vous qui avez volontairement gravi un degré
d'où il est si facile de déchoir et de se précipiter. Dieu, il est vrai, porte
secours au besoin à ceux qui ne se sont pas jetés dans le danger ; quant à ceux
qui aiment le péril, ils y périront. Si vous l'agréez, je lèverai cet obstacle
aux espérances que vous pourriez concevoir de moi.
Je m'étais ouvert de mon intention d'embrasser la carrière
ecclésiastique à plusieurs personnes dont l'autorité me fut toujours sacrée. A
mon insu (je vous le déclare ingénument, mes Pères, et je ne saurais dissimuler
en leur présence), elles pressèrent par écrit leurs amis de solliciter pour
moi, s'il était possible, votre Prévôté alors vacante. Ces lettres précédèrent
toutes les requêtes du même genre ; leurs prières furent accueillies, et la
faveur demandée me fut accordée.
Que vouliez-vous, ô Pères, que je fisse en de telles
conjonctures? Rejeter absolument cette faveur? je voyais dans cette conduite je
ne sais quoi d'ingrat, de grossier, de méprisant pour ceux qui m'avaient obtenu
cette dignité.
L'accepter? Ce parti me paraissait plein de périls et
d'angoisses. Dans cette perplexité, je résolus d'attendre jusqu'à ce jour, et
ce jour venu, si vous me rejetiez comme indigne, votre sentence était pour moi
arrêt de justice et je me retirais très volontiers comme indigne. Si, au
contraire, vous ne me trouviez pas indigne, j'inclinais promptement les épaules
sous ma charge, assuré que votre décision m'indiquait la voie à suivre.
Mais, je le constate, vous me recevez tous avec les plus
aimables félicitations. Si je suis coupable en acceptant cet honneur, vous
engagez tous, croyez-m'en, votre conscience avec la mienne, et la peine de la
faute commise devra s'étendre à ceux qui y ont consenti. Si vous voulez vous
libérer de toute responsabilité, il ne vous reste qu'à aider et soutenir ma
faiblesse par vos conseils et votre exemple, à suppléer par votre charité aux
qualités qui me manquent, et je sens trop combien nombreuses elles sont ! Soyez
persuadés que Dieu vous a ordonné, comme à ses Anges, de me garder en toutes
mes voies, de me porter dans vos mains, afin que je ne me heurte pas à cette
table de pierre sur laquelle sont gravés les dix commandements du Seigneur sur
laquelle il est écrit : Tu adorer.is le Seigneur ton Dieu et le serviras lui
seul; et portant ainsi les fardeaux les uns des autres, nous accomplirons la
loi du Christ. Veuillez croire que je recevrai toujours humblement, dans le
Seigneur, les avis de chacun d'entre vous, de telle sorte que si vous n'avez
tous qu'un seul Prévôt, moi seul je paraisse en avoir autant que je compte de Chanoines,
et que je sois moins appelé préposé aux Chanoines que Prévôt des Chanoines.
Dans une de leurs fréquentes communications épistolaires, le
grand Augustin écrivait à Jérôme (je cite deux brillantes lumières de l'Eglise)
: « Bien que, comme titre honorifique, l'épiscopat soit supérieur au simple
sacerdoce, cependant, sous bien des rapports, Augustin est inférieur à Jérôme.
» J'applique cette parole à notre situation. La Prévôté, sans doute,
l'emportera toujours sur le canonicat; toutefois, je placerai très humblement
après tous les Chanoines
François de Sales, ou, ce qui revient au même, votre Prévôt
actuel, me souvenant de l'artiste Antigonus qui appelait toute dignité, fût-elle
royale, une honorable servitude. Ainsi le plus grand se comportera comme le
plus petit, ainsi, grâce à une sincère charité, les premiers seront les
derniers et les derniers les premiers. La charité sincère peut tout, l'emporte
sur tout, elle ne finira pas, elle n'agit pas précipitamment. C'est par la
charité qu'il faut ébranler les murs de Genève, par la charité qu'il faut
l'envahir, par la charité qu'il faut la recouvrer. Cette idée m'amène
insensiblement et d'elle-même à la seconde partie de mon discours.
Je ne vous propose ni le fer, ni cette poudre dont l'odeur
et la saveur rappellent la fournaise infernale; je n'organise pas un de ces
camps dont les soldats n'ont ni foi ni piété. Que notre camp soit le camp du
Dieu dont les trompettes font entendre, avec des accents pleins de douceur, ce
chant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées. C'est sur ce camp,
vaillants Compagnons d'armes, que vous devez fixer vos regards; et ce que votre
fidélité doit à Dieu, à l'Eglise, à la Patrie, à vos autels et à vos foyers,
lorsque l'occasion s'en offrira, faites-le, montrez-le, accomplissez-le. 'Vous
entrevoyez enfin, je pense, toute l'étendue du plan que je vous propose pour
reconquérir Genève. C'est par la faim et la soif, endurées non par nos
adversaires mais par nous-mêmes, que nous devons repousser l'ennemi. C'est par
la prière que nous le chasserons; car ce genre de démons, vous le savez, ne
peut être chassé que par la prière et le Jeûne. rQue l'exemple d'Holopherne
nous apprenne, je vous prie, la meilleure manière d'emporter une ville d'assaut ! Voulez-vous une méthode facile pour emporter rapidement une ville d'assaut?
Je vous prié de l'apprendre de l'exemple d'Holopherne : il est bien permis, en effet,
de retourner contre l'ennemi ses propres armes et d'en tirer profit, comme l'a
si bien démontré Plutarque. Holopherne assiégeant Béthulie, coupe l'aqueduc et
fait garder soigneusement toutes les fontaines. La soif torture si cruellement
les malheureux assiégés qu'ils sont forcés de penser sérieusement à se rendre.
A notre tour, je vous en conjure, employons pour nous emparer de Béthulie et de
cet Holopherne enfermé dans Genève la méthode dont lui-même nous a montré
l'usage.
Il est un aqueduc qui alimente et ranime pour ainsi dire
toute la race des hérétiques : ce sont les exemples des prêtres pervers, les
actions, les paroles, en un mot, l'iniquité de tous, mais surtout des
ecclésiastiques. C'est à cause de nous que le nom de Dieu est blasphémé chaque
jour parmi les nations, et c'est avec pleine raison que le Seigneur s'en plaint
si amèrement par ses Prophètes. Voilà l'eau de contradiction qui me paraît
étancher la soif brûlante des hérétiques, boisson vraiment digne de ceux qui la
prennent ; c'est notre iniquité que boivent ces hommes iniques, ainsi qu'il est
écrit : Ils boivent l'iniquité comme l'eau.
Ils devraient au moins reconnaître leurs vices, et ceux
d'autrui ne les scandaliseraient plus. Salomon, dans l'Ecriture, sous cette
même comparaison de l'eau, donne ce sage avertissement : Buvez l’eau de votre
citerne. Mais puisqu'il en est ainsi, mes Compagnons d'armes, puisqu'ils
regardent les actions d'autrui et non les leurs, arrêtons le cours de cette
eau, je vous prie ; que chacun veille à ce que sa source privée ne coule pas
jusqu'à l'ennemi. Faisons refluer à leur source les courants de nos péchés, et
là, comme desséchés par le Soleil éternel dans notre propre cœur, que ces
courants n'offrent plus de cette eau de scandale ni à nos ennemis ni à nous.
Alors sûrement, le Jourdain retournera en arrière, et Israël sortira de
l'Egypte.
Il faut renverser les murs de Genève par des prières
ardentes, et livrer l'assaut par la charité fraternelle. C'est par cette
charité que doivent frapper nos têtes de ligne. Il est une éternelle cité dont on
a dit tant de choses glorieuses, qui est défendue par une position si haute et
si avantageuse, que la vue elle-même ne la peut découvrir; or, nous savons que
l'on peut s'emparer de cette cité céleste par la prière et les bonnes œuvres.
Le Chef suprême de cette place forte, le Christ Notre-Seigneur, en cédera le
butin à ceux qui l'auront enlevé avec ces armes. Le Royaume des cieux, en effet,
souffre violence et ce sont les violents qui le ravissent. S'il en est ainsi,
et c'est la vérité, combien sera-t-il plus facile d'enlever par les engins de
la prière et des bonnes œuvres, une ville au modeste circuit, humble et
méprisée! En avant donc et courage, excellents Frères, tout cède à la charité ;
l'amour est fort comme la mort, et à celui qui aime, rien n'est difficile.
Nous laisserait-elle donc insensibles cette douleur que nous
devrions éprouver au sujet d'un exil d'autant plus lourd et moins honorable que
nos péchés à tous en prolongent la durée ? Les Israélites s'assirent sur
les rives des fleuves de Babylone, et pleurèrent au souvenir de Sion. Que
ferons-nous donc. Chanoines de Genève ? Ne sommes-nous pas exilés et pèlerins
sur une terre étrangère, celle que nous habitons et foulons aux pieds?
Asseyons-nous donc sur ces rivages des fleuves de Babylone, c'est-à-dire de la
confusion, des péchés ; pleurons au souvenir de cette Sion genevoise, jadis si
glorieuse des trophées du Christ, et aujourd'hui, pour les crimes de notre
époque et de nos ancêtres, gisant accablée sous la plus honteuse servitude de
l'hérésie.
L'exemple que Jérémie nous cite de ces mêmes Israélites,
nous montre la tristesse que Genève, perdue pour le Christ et pour nous,
devrait nous inspirer: Ils se sont assis sur la terre, les vieillards de la
fille de Sion; ils ont couvert de cendre leurs têtes, ils se sont revêtus de
ciliées ; les vierges de Juda ont baissé leurs têtes vers la terre. Je voudrais
que nous comprissions ainsi ce passage: nous, Chanoines, comme sénateurs de
l'Eglise, nous imiterions les vieillards d'Israël, et nous réserverions aux
vierges de Sainte Claire, survivantes aussi du clergé de Genève, le rôle des
vierges de Juda. Ainsi, par la miséricorde de Dieu, nous recouvrerions les
biens que nos ancêtres perdirent par son juste jugement.
A votre avis, Messieurs, pourquoi les citoyens de Genève, si
obstinés contempteurs de la discipline ecclésiastique, ont-ils cependant
conservé tous les noms et tous les monuments qui rappellent cette discipline ?
Evêché, Pré l'Evêque, Rue des Chanoines, Maison du Chantre, notre Temple de Saint-Pierre,
ceux de la Madeleine, de Saint-Gervais : tous ces anciens noms, les novateurs,
comme oublieux de leur rôle, continuent à les employer. L'hérésie, partout où
elle passe, renverse, détruit les temples, brise les images des Saints. Genève
conserve ses temples intacts, le visage seul de ses images a été récemment
détérioré ; les stalles des Chanoines subsistent encore. Bons signes, mes
Collègues, bons signes ! Conduite providentielle qui rappelle à nos ennemis
l'usurpation de nos sièges, nous excite à recouvrer notre bien, par un heureux
retour, et à choisir notre sépulture dans le même tombeau
que nos ancêtres. Pour atteindre ce but, rendons-nous Dieu
propice par la pénitence. En un mot, car il faut terminer ce discours, nous
devons vivre d'après la règle chrétienne, de telle sorte que nous soyons
Chanoines, c'est-à-dire réguliers, et enfants de Dieu, non seulement de nom
mais encore d'effet.
Qu'il en soit ainsi, mes Pères, ou plutôt (pour ramener
notre discours à la pensée de Dieu par laquelle il a commencé), puissions-nous
vous rendre honneur et gloire, Dieu tout-puissant ! A la Bienheureuse Vierge,
aux Saints Anges, aux Bienheureux Pierre et Paul, au Bienheureux François,
louanges et actions de grâces! Et qu'en retour, ô Dieu, vous nous accordiez
votre grâce, vous qui êtes souverainement exalté dans les siècles, Père, Fils
et Saint-Esprit.
Qu'il en soit ainsi, Dieu immortel, qu'il en soit ainsi.
Excellents Collègues, je vous vois assez portés de
vous-mêmes à cette entreprise... espérons donc. Nous avons en effet une
consolation à notre époque si malheureuse : la plupart des hommes de bien et de
jugement pensent qu'à cette époque est réservée la réalisation d'un vœu formé
depuis si longtemps. Nous recouvrerons nos anciens sièges, et enfin délivres
des mains de nos ennemis, nous servirons dans la sainteté et la Justice ce Dieu
souverainement exalté dans les siècles.
Quant à vous, je vous rends d'immortelles actions de grâces.
Illustrissime et Révérendissime Prélat, pour avoir, par votre très auguste
présence, relevé l'éclat de cette assemblée où je compte mes plus chers amis,
ceux que j'aime plus que le miel et le rayon de miel, plus que l'or et la
topaze. Daignez combler la mesure de vos bienfaits envers moi, et, en vertu de
la puissance qui vous a été donnée d'en haut, je vous supplie et conjure de
nous fortifier tous par votre bénédiction.
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